Extrait : 

« (…) En droit européen, le droit à la protection des données personnelles est un droit fondamental prévu à l’article 8 de la Charte des droits fondamentaux. Cependant, avec l’inflation de données transitant sur Internet, la protection absolue des données personnelles paraît assez illusoire.

L’abandon du système de déclaration préalable auprès de l’autorité de protection avec la Proposition de Règlement du 11 juin 2015 est une des conséquences de l’avènement des Big data. En effet, si la conformité du traitement ne peut plus être contrôlée au cas par cas, l’effort sera concentré sur les traitements présentant un risque élevé identifié par une analyse d’impact. La finalité du traitement des données personnelles collectées est le critère principal de la licéité du traitement. L’approche des entreprises spécialisées dans les Big data ne repose pas sur la finalité, elle repose sur la quantité de données et sur leur valeur intrinsèque. Les données personnelles sont considérées par certains acteurs économiques comme des matières premières dont l’usage ultérieur à la collecte importe peu. Dans le domaine de l’enseignement il convient de distinguer trois types de finalités de traitement de données : l’amélioration de l’outil pédagogique, la vente de produits pédagogiques et la création de profils d’apprenants.

Le premier type de traitement vise à l’amélioration d’un outil éducatif. Lorsque cet objectif est poursuivi, aussi bien la collecte que le traitement de données présente un risque limité pour la vie privée. Par ailleurs, l’objectif étant l’évaluation de l’outil, une certaine anonymisation ou « pseudonymisation » des données est possible, sans altérer la qualité de l’étude, ce qui permet d’éviter d’être soumis aux dispositions protectrices des données personnelles. Il convient aussi de préciser que lorsque la finalité est statistique ou scientifique, le droit européen prévoit un régime dérogatoire. Ainsi, des données personnelles collectées pour d’autres finalités peuvent être ultérieurement utilisées à des fins scientifiques.

Le deuxième mode de traitement a pour objectif de faciliter la vente des produits aux apprenants ou éventuellement aux enseignants à partir de données collectées dans le cadre du dispositif d’apprentissage. L’intérêt n’est dès lors plus uniquement pédagogique. Ces données personnelles liées à l’apprentissage ont une valeur économique et peuvent ainsi être utilisées par des sociétés pour faire de la publicité personnalisée ou vendre des logiciels ou services de soutien scolaire à partir d’informations précises comme la classe de l’élève ou ses matières faibles. Cet usage des données n’est pas particulièrement différent de celui fait des données personnelles récoltées au cours de la navigation ou de l’usage de réseau sociaux ou de site commerçant. Cependant, l’usage de ces données pose le problème de l’expression du consentement de l’utilisateur, particulièrement lorsque l’apprenant est mineur.

La troisième finalité de traitement correspond à la création de profils d’apprenants. Si ce profilage peut permettre de personnaliser l’enseignement (son mode et son contenu) au profit de l’apprenant, ces données organisées ont une valeur commerciale importante et peuvent potentiellement porter préjudice à l’individu profilé. Cet usage, plus dangereux que les précédents, correspond à la constitution d’une base de données répertoriant des apprenants. Le traitement vise à permettre la constitution de profils utiles lors de processus de sélection, que ce soit par des agences de recrutement, par des entreprises ou par des institutions. La question de la collecte de ces données dans ce but (ou en l’absence de but précisé au préalable), et du droit à l’oubli se pose. Dans ce domaine les Big data créent des risques importants. La question du profilage et de ses incidences est prévue dans la Proposition de Règlement qui précise par exemple que le profilage ne peut justifier une décision « produisant des effets juridiques » ou « affectant la personne de manière sensible », comme « des pratiques de recrutement en ligne sans aucune intervention humaine». Dans l’enseignement, les learning analytics sont aussi utilisés pour classer les institutions et les enseignants en fonction de critères statiques, objectifs, dont la remise en cause est difficile une fois qu’ils sont pris en compte. Les big data ont déjà des incidences dans ce domaine, comme en atteste, par exemple, la prise en compte, comme critère de recrutement ou de promotion dans certaines institutions, du nombre de citations faisant référence aux publications d’un enseignement-chercheur.

La diversité de la nature des données, de leur origine et des finalités de leur traitement rend une réponse juridique uniforme impossible. Les textes créés au début de l’informatique, avant même l’usage domestique d’Internet, gardent une étonnante pertinence mais leur actualisation avec l’avènement des big data est indispensable. (…) »

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